• Méthodologie
  • par Anouk Jeanneau modifiée le 24 juillet 2024 18:59

    Équilibrer financièrement une opération de requalification de friche

    Certaines pistes permettent de réduire le déficit d'un projet de réhabilitation de friche.
    En résumé

    Les opérations de réhabilitation de friches sont coûteuses, mais certains leviers peuvent être actionnés pour tenter de trouver un équilibre économique, en complément d’éventuelles subventions : minoration foncière, densification, techniques de construction, etc.

    🚀 PLUS DE DÉTAILS

    Prix du foncier, dépollution, coûts des travaux… : de nombreuses sources de surcoûts peuvent peser sur les projets de réhabilitation de friches. La bonne volonté des collectivités ne suffit pas toujours pour les mener à bien, et il est nécessaire de parvenir à équilibrer ces opérations pour qu’elles puissent aboutir. Si des subventions (fonds vert, aides locales ou appels à projets notamment) peuvent permettre de limiter le déficit, d’autres leviers peuvent être actionnés pour optimiser le bilan financier et limiter les dépenses propres à ces projets d’aménagement.

    • Intervention de l’EPF

    Un Établissement Public Foncier (EPF) a pour mission d’acquérir un foncier, puis de le posséder et le gérer (sécurité, gardiennage, etc.) pour un temps donné. Il peut commencer à le préaménager (démolition des bâtiments existants, dépollution, etc.) avant de le vendre à une collectivité ou à l’opérateur mandaté par cette collectivité.

    L’intervention de l’EPF pour le portage foncier permet de s’appuyer sur un tiers pour négocier le prix d’acquisition, mais également de bénéficier des conseils d’un opérateur expert du foncier : l’EPF (ou son AMO / diagnostiqueur) peut ainsi venir sur place visiter la friche et obtenir un maximum d’informations sur le bien afin d’éviter certains écueils pour la suite et limiter l’incertitude.

    Selon leur programme d’intervention, certains EPF proposent également un dispositif de minoration foncière pour les projets qui s’inscrivent dans leur stratégie. Cela signifie que l’EPF prend à sa charge une partie des coûts du foncier ou des études menées. L’EPF Bretagne peut par exemple financer jusqu’à 60% des coûts de déconstruction / démolition, ou déduire du prix de revente jusqu’à 150€HT/m² de surface réhabilitée pour des opérations à dominante habitat ou développement économique dans les centre-bourgs.

    L’intervention de l’EPF peut également permettre la revente du foncier en direct à un opérateur privé.

    • Adapter la programmation aux contraintes du site

    Prendre en compte la pollution : les coûts de dépollution varient grandement en fonction des usages souhaités sur le site. Ainsi, si le logement rapporte davantage que l’immobilier d’entreprise en termes de recettes, la mise en conformité concernant la pollution coûte plus cher. C’est un curseur à ajuster, à la fois pour définir la programmation (quels usages) mais aussi leur répartition sur le site : il est stratégique de repenser l’aménagement au regard de l’état des sols, pour éviter certains coûts de dépollution. Certains déchets non dangereux peuvent également être conservés sur site, ce qui permet des économies considérables.

    Prendre en compte l’existant : conserver le bâti n’est pas toujours moins cher en soi, mais c’est une démarche vertueuse qui peut faciliter la mobilisation de subventions. Qu’il soit démoli ou conservé, l’important quand il y a un bâtiment est de prendre une décision relativement rapidement sur ce qu’on souhaite en faire. En effet, les hésitations peuvent coûter cher. Des bâtiments non maintenus perdent en valeur, alors que la maintenance et le gardiennage sont coûteux, la taxe foncière plus élevée que sur terrain nu. A l’inverse, selon l’état du bâti, il est possible d’amortir partiellement l’acquisition en louant les biens le temps du portage foncier ou de la maturation du projet, pour réduire le déficit global. Les solutions d’urbanisme transitoire permettent également d’éviter une dégradation trop rapide du bâti si on souhaite le conserver, en faisant vivre le site.

    D’autres facteurs sont à considérer, en fonction des spécificités du site : l’ensoleillement, la pente du terrain, le voisinage et l’environnement, etc. Certaines contraintes peuvent devenir des opportunités, si le projet est pensé avec le foncier plutôt que malgré le foncier.

    • Densifier

    L’augmentation du nombre de logements ou d’espaces destinés aux activités sur une même parcelle permet d’atteindre une charge foncière plus équilibrée dans le bilan d’opération.

    Attention cependant, cette densification peut être limitée par les documents d’urbanisme. Il faut qu’elle reste acceptable pour les riverains. De plus, augmenter le nombre de logements nécessite des places de stationnement en conséquence.

    A noter, la forme urbaine a un impact important sur les coûts de construction. Une structure moins haute est moins coûteuse (pas ou peu de parties communes, pas d’ascenseur, etc.). C’est un critère à prendre en compte si l’on choisit de densifier.

    Par ailleurs, le projet doit veiller à répondre aux besoins du territoire pour que les logements (ou locaux d’activité) trouvent preneurs. En zone détendue, la densification est limitée par le marché, au risque de ne pas pouvoir commercialiser les lots. Il faut parfois du temps et de nombreux ajustements pour trouver l’équilibre entre nombre de logements, public cible et charges foncières admissibles. Il est utile pour cela de connaître les revenus des ménages du territoire pour construire des hypothèses plausibles (ces chiffres peuvent être dans le Programme Local de l’Habitat). Une solution peut également être de lancer un “appel à habitants” pour créer une émulation et savoir qui serait intéressé par un certain type de logements, afin de rassurer l’opérateur (collectivité et promoteur) en garantissant un pourcentage important de commercialisation.

    • Démembrement de la propriété

    Le démembrement de la propriété repose sur la dissociation économique entre le foncier et le bâti. Schématiquement, les ménages acquièrent le bâti et louent le foncier. Le prix d’acquisition du logement se trouve ainsi réduit par rapport au marché libre. Le bail réel solidaire est un outil qui permet ce démembrement. Les acquéreurs achètent l’usage du logement sans être propriétaire du foncier, qui appartient à un office foncier solidaire. Ce dispositif est accompagné de plusieurs avantages : une TVA à 5,5%, un prix d’acquisition plafonné, un coût réduit de 15 à 30% en moyenne, un abattement jusqu’à 30% de la taxe foncière sur les propriétés bâties et des garanties de rachat.

    • Identifier les techniques de (dé)construction adaptées

    Si des bâtiments sont démolis sur la friche, le recyclage et le réemploi permettent de récupérer des matériaux sur place et d’économiser ainsi sur le prix des matières premières, ainsi que de réduire les coûts de traitement des déchets. Pour mener une telle démarche d’économie circulaire, il est possible de s’entourer d’acteurs spécialisés qui pourront identifier les matériaux présents et les possibilités de réemploi ou de revente après reconditionnement. La déconstruction dite “sélective”, qui consiste à trier les différents éléments sur place pour conserver leur intégrité, est plus sobre et accroît les chances de recyclage.

    Pour réduire les coûts, il peut également être envisagé d’avoir recours à la préfabrication voire au module (fabrication préalable en usine), à condition de penser l’intégration au site pour conserver la qualité architecturale.

    La gestion alternative des eaux pluviales ou l’adaptation des stationnements (voiries plus légères, partagées, etc.) peuvent être des pistes pour optimiser les coûts, si ces sujets sont considérés dès le début du projet.

    D’autres surcoûts de construction divers sont à évaluer pour ajuster le projet : le type de toiture, la construction ou non d’un sous-sol ou d’un attique, le nombre de cages d’escaliers, etc.). Ces facteurs peuvent contribuer à des écarts de coût de sortie des projets, jusqu’à 350€/m² de surface habitable.

    • Travailler par tranches

    Pour un projet mixte et d’une certaine ampleur, il peut être stratégique de découper l’opération et le bilan en tranches. Il est plus aisé de rechercher des subventions en identifiant les espaces différents : les mêmes aides ne seront pas mobilisées pour des logements sociaux et pour un espace associatif, par exemple.

    🟢 Par ailleurs, il est important de souligner qu'une opération de réhabilitation de friches est rarement une opération "blanche". S'il est possible de réduire le déficit, il est très difficile d'atteindre un bilan neutre ou positif, en particulier en zone détendue ou pour des friches complexes (polluées, bâti très dégradé, etc.). Le bilan économique est une contrainte pour pouvoir agir sur un site donné, mais il n'intègre pas l'ensemble des externalités positives d'une reconversion de friche. Pour éclairer ces dépenses, il faut penser en coût global et s'interroger : qu'est-ce que cela coûterait de ne rien faire ? de faire ce projet en extension urbaine (plus de déplacements, voiries en conséquence, plus d'émissions, etc.) ? L'outil Bénéfriches, construit par l'ADEME, vise à vous aider à prendre en compte tous les bénéfices socio-environnementaux des opérations de réhabilitation.

    ⚡ EXEMPLES

    Cette fiche a en partie été rédigée en s’inspirant du webinaire “Atteindre l'équilibre financier d'un projet sur friche urbaine” organisé par l’Etat, la Région Bretagne, l’EPF Bretagne et la Banque des Territoires dans le cadre de l’animation régionale Les territoires innovent. Plusieurs exemples de projets sont décrits par les intervenants, nous vous invitons à consulter la rediffusion à ce lien.

    D’autres exemples ont été présentés à l’occasion du cycle de webinaires “Approche du coût du renouvellement urbain”, à retrouver sur la chaîne Youtube Les territoires innovent.

    ℹ️ AUTRES INFORMATIONS

    Au-delà de ces leviers, un déterminant important pour éviter les surcoûts et les mauvaises surprises dans les projets de réhabilitation de friches est l’anticipation : les diagnostics et études en amont permettent d’éviter les mauvaises surprises et donc de faire des économies. Cela commence au stade de la planification et de la définition d’une stratégie foncière, qui permet de ne pas être pris au dépourvu quand une opportunité se présente. En effet, une préemption au dernier moment peut impacter fortement le coût final du projet !

    Les études techniques et urbaines préalables ont certes un coût, mais c’est une dépense très relative au regard des écarts entre le budget prévisionnel et le coût réel des travaux quand elles n’ont pas été réalisées assez tôt, pour identifier les points d’attention.